Dès les premières heures de ce lundi 11 novembre 1918, tous les habitants de Dunkerque sont dans les rues. Lorsqu'arrive la nouvelle tant attendue que l'armistice a été signée à 5h du matin et que les hostilités prendront fin à 11h, une émotion indescriptible s'empare de tous : on s'embrasse, on chante.
À partir de 10h30, les sirènes des navires ancrés dans le port commencent à mugir. À ce moment, le cortège funèbre d'un soldat anglais traverse la place Jean-Bart et, devant ce cercueil recouvert du drapeau britannique, la foule devient brusquement immobile et silencieuse : les hommes se découvrent et des femmes se mettent à pleurer en songeant que là-bas, au fond de l'Écosse ou de l'Irlande, une mère, une épouse va apprendre la mort de celui dont le retour était attendu depuis si longtemps, et cela au moment même où l'horrible guerre prend fin.
À 11h – l'heure solennelle –les cloches de la Tour et de toutes les églises se mettent en branle dans un vacarme extraordinaire.
Dans toutes les rues flottent les drapeaux alliés. En haut du Beffroi, le grand pavois et sa flamme claquent au vent. La façade de l'Hôtel de ville arbore l'immense drapeau tricolore que l'on n'avait pas vu depuis la victoire de la Marne. Les deux châteaux d'eau sont surmontés des couleurs nationales et dunkerquoises.
Au port, le travail cesse instantanément et les ouvriers se rendent en ville. Les Chantiers de France, les usines, les filatures sont abandonnées par leur personnel qui s'en va renforcer joyeusement les manifestants.
Marins et soldats anglais, belges, américains, français, Dunkerquois et Dunkerquoises fraternisent et circulent en cortège joyeux, agitant des drapeaux. De nombreux soldats anglais arrivent en camions des camps environnants, acclamant Jean Bart, Dunkerque et la France.
Le monument aux Dunkerquois morts pour la France, situé place de la République, se couvre de fleurs et des Anglais arborent même des drapeaux sur la statue de Jean Bart.
À 13h, le canon mêle sa voix puissante aux hurlements des sirènes, tandis que les cloches sonnent à toute volée.
L'après-midi, une fanfare défile en ville, escortée par une foule immense et par des soldats anglais et français, poussant de formidables hourras.
Déjà le gouverneur a annulé les arrêtés interdisant l'éclairage public, et pour la première fois depuis de longues années, les 27 premiers becs de gaz s'allument au coin des rues.
Le journal "Le Nord Maritime" s'efforce d'illuminer sa façade comme aux soirs des fêtes d'avant-guerre, tandis que des particuliers tentent de l'imiter avec des moyens de fortune.
Dès la tombée du jour, les projecteurs du front de mer, des bâtiments de guerre, de la DCA projettent en sarabande dans le ciel leurs faisceaux lumineux. Le phare lui-même se remet à tournoyer, et son immense pinceau lumineux reprend à nouveau paisiblement sa vaste ronde sur la rade dunkerquoise, tandis que de la ville montent de sourdes rumeurs d'allégresse, faites de chants, de cris, de musiques et de danses improvisées.
Ce lundi 11 novembre 1918, après 1 561 jours de conflit, Dunkerque ne s'endormira que tard dans la nuit...
• Sources : "Dunkerque pendant la guerre. 1914-1918" d'Albert Chatelle.