Rassembler en aussi peu de temps une petite armada n'est pas chose aisée. Qu'à cela ne tienne, la Royal Navy détache immédiatement 39 destroyers, des dragueurs de mines et quelques autres bâtiments. Mais c'est insuffisant car la faible déclivité des plages oblige les navires de fort tonnage à mouiller au large.
Il faut dès lors mobiliser des ferries, des chalutiers, des remorqueurs, des péniches, des yachts et d'autres embarcations encore plus modestes, les désormais célèbres "little ships". Il en vient 370 équipés tout au plus de deux mitrailleuses. Il faut ensuite organiser cette noria. Entre Dunkerque et Douvres, la route la plus directe est la route Z, longue de 60 km, mais elle est à portée des canons allemands à la hauteur de Calais. La route Y évite cet inconvénient à ceci près qu'elle met Dunkerque à 130 km de Douvres ; qui plus est, elle constitue un terrain de chasse pour les vedettes lance-torpilles de la Kriegsmarine. La voie la plus praticable est la route X, longue de 80 km ; elle ne sera toutefois déminée que le 29 mai.
Malgré la vigilance de la RAF, le principal danger vient des airs. Le 29 mai par exemple, 400 bombardiers, protégés par 180 stukas, ont méthodiquement pilonné Dunkerque, mitraillant les plages sans omettre de bombarder les bâtiments croisant au large. Ce jour-là, le bilan des pertes est tellement lourd que l'Amirauté décide d'arrêter l'opération : au total, près de 250 embarcations sont envoyées par le fond ; des vedettes lance-torpilles ont raison de deux torpilleurs français modernes, le Jaguar et le Sirocco. Heureusement que le plafond des nuages, souvent très bas,et les fumées des incendies gênent la Luftwaffe, laquelle ne peut sortir ses escadrilles que les 27, 29 mai et 1er juin.
Les opérations de rembarquement sont incommodes. Il y a trop d'hommes et pas assez de bateaux. Pour s'échapper, il faut soit être accepté à bord d'un navire accostant au môle est du port (l'actuelle jetée est s'avance en effet de 1 500 mètres dans la mer), soit rejoindre la plage et avancer en file indienne jusqu'à une embarcation légère qui fait le va-et-vient entre le rivage et le bâtiment au large. La machine s'est rodée ; le premier jour, 7 669 hommes ont pu rejoindre un port allié, 17 804 le second, 47 310 le troisième, 53 823 le quatrième. C'est inespéré !
Le 4 juin à 3 h 20, le Shikari, chargé à ras bord de soldats, quitte le môle pour sa dernière rotation. à 10 h, l'armée allemande investit Dunkerque.
En neuf jours, 338 226 combattants (dont 123 095 Français) ont pu être évacués sur une mer d'huile ; la Wehrmacht capture quelque 35 000 soldats ; la quasi-totalité sont des Français dont la plupart avaient participé aux combats d'arrière-garde.